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Plus ou moins tôt, selon la saison, le soleil s'en va derrière les crêtes que l'on a derrière soi dans cette descente.
Vouvry est un pays d'aurore ; la naissante lumière l'atteint de plein fouet et rien ne la retarde. C'est donc aussi un pays d'ombres longues et précoces où il arrive que la, rosée demeure du jour au lendemain. Mais comme un autre torrent où le Fosseau étincelle par instant, des rayons très obliques reparaissent, réchauffent un long triangle de prés, de vignes et de murs, éclaboussent des fenêtres, irradient une placette qui paraît fleurie d'or et remontent bientôt par degrés jusqu'aux sommets où ils s'éteignent. Non sans avoir plus longuement baigné, en face, les Alpes vaudoises.
Ainsi, gagnant Vouvry, on a devant soi le Valais du lac, adouci, éclairé par les feuillages des veines, des peupliers, des hêtres qui font des miracles de pourpre et d'or à l'automne. C'est la première porte valaisanne, large encore, plutôt un rideau, saules et roseaux, tendu devant la grève lacustre. Si on regarde à l'est, pour savoir de quelle humeur se lève le soleil, maître du temps, on voit qu'il y a une autre porte, là-bas, au pied des hautes cimes et que le fleuve se plie en deux pour la passer, venant du haut pays où tout est plus contrasté, plus vif et plus violent.
Ici, en Bas-Valais, quand on vient du Chablais à l'ouest, il y a moyen de se glisser le long de la muraille rocheuse. Le Rhône a laissé un peu de terre et, au pied de la montagne, on a bâti la Porte du Sex. La commune commence là. Et comme ce passage commande tout le pays du Rhône valaisan, il fut toujours solidement construit et bien gardé. Au i 6' siècle, on y installa un châtelain. Il administrait Port-Valais, Vionnaz. Il avait la saunerie - le débit de sel - sous son contrôle. Jusqu'en 1839, il y eut un bac sur le Rhône.
Pour venir de la côte vaudoise qui rassemble les routes de Berne, de Fribourg et d'ailleurs, il y a deux ou trois plats chemins à travers les champs où les rideaux de peupliers cardent le vent et filent les brouillards. Il faut bien choisir, à cause des ponts qui sont rares. C'est que le père-fleuve qui s'est assagi au point d'accepter des digues, ne se laisse quand même pas tout faire, capable qu'il est de grossir soudain et de tout emporter.
Ce matin, l'eau file calme et lisse le long de la limite de la commune. On l'a séparée du vrai fleuve pour la verser dans le canal Stockalper. C'est une eau de songes, où miroite encore un des grands rêves de ce prodigieux Valaisan du 17esiècle, Gaspard Stockalper de la Tour, quasi-roi du Valais, ayant six mille hommes travaillant ses terres et gardant ses troupeaux, autant de mulets portant six mille sacs de sel d'Espagne par le Simplon, un régiment et trois compagnies de soldats servant en divers pays, un château de prince oriental en sa Brigue natale et qui voulut, pour son commerce, flotter, à moindre prix, ce qui roulait pour lui sur toutes les routes, y compris le courrier d'Italie et de France, par Lyon et Genève. Le canal fut creusé de Collombey (1651) à Vouvry (1659). (Les Stockalper avaient des droits à Vouvry.) Mais le Rhône déborda et le canal fut abandonné. Cent vingt ans plus tard, pourtant, on le prolongea jusqu'au Léman pour qu'il y porte l'eau drainée dans les marais.
Au 6 ème siècle, l'éboulement du Tauredunum et l'inondation qui s'ensuivit, ravagèrent les terres basses du dizain de Monthey.
Vouvry seul en réchappa intact, étant sur la première marche de la montagne. On le nommait alors : Wovreia. C'était un bourg autour d'une église.
J'aime à rêver sur la petite musique ancienne que font les noms des gens et des lieux quand on feuillette les documents des archives, déchiffrant des écritures aux formes oubliées. Vouvry chante ainsi, sur sept siècles - de 1017 à 1771 - : Vubreius, Wowreia, Vuvrium, Ovrie, Wuvrie, Vouvriacum, Vauvry, Vouvray. C'est que rien n'était fixé encore, tout se formait, se bâtissait, s'enracinait, les communautés comme les langages. Ici, on entend un accent qui est d'abord le germanique modifiant le bas latin; puis le parler, dont la forme écrite est due aux gens d'église, se romanise et devient valaisan. Mais cette Varia ou Wavra, c'est toujours la même terre et le mot veut dire qu'elle est en friche, qu'elle est encore sauvage, à conquérir et en voie de l'être. Vouvry, c'était une colonie, et ses habitants des défricheurs.
Chanson plus douce des parchemins gaufrés comme feuilles mortes, des prénoms féminins paraissent et parfois ils sont délicieux, tels - au 13 ème siècle - ceux de Willermette et d'Anfélise. Je crois les voir : robes très longues, corsages très ronds...
Au lieu-dit " En Bovairon ", vingt-trois tombes burgondes (découvertes en 1894) attestent que ce puissant peuple venant de la Baltique s'était implanté là aussi.
Conquérants en marche depuis le 3 ème siècle, christianisés deux siècles plus tard, ils savaient organiser leurs conquêtes. Leur roi Sigismond, en 515, rénove la communauté du couvent d'Agaune, c'est-à-dire Saint-Maurice et lui donne Vouvry, en 517. Mais il y eut un temps où la paroisse formée entre 1177 et 1204 relevait à la fois de l'abbaye et de la prévôté du Mont-Joux. Les papes Innocent III et Honorius IV en font mention.
En 1158déjà, la seigneurie appartient à l'abbé de Saint-Maurice et Guillaume de la Tour est son vidomne à Vouvry ; c'est-à-dire son administrateur, choisi parmi les familles connues du pays. On relève les noms des De la Tour (1150), Blonay(1250), Vouvry (1300), Sostionis (1304), Pierre Bernardi (1495), Hippolyte Boquis (1508), Pay de Monthey (1610).
Sur le clocher de pierre à flèche octogonale à lucarnes, du 15e siècle, tournent les heures et les saisons, les bonheurs et les oraisons. L'église est sous le vocable de Saint-Hippolyte. Elle n'est pas très ancienne, ayant été rebâtie pour la troisième fois en 1822. Mais deux vitraux, dans le choeur, sont datés de 1488. Les autres ont été faits par E. Dunant en 1941.
L'histoire moderne de Vouvry se confond avec celle du Valais. Mais il garde son caractère, associé à ceux des cent soixante-neuf autres communes valaisannes. Libres ensemble, mais libre aussi chacune pour soi.
La vie, ici, est faite de joies et de peines, comme partout. Dans les petites rues en pente, n'en reste-t-il qu'un subtil parfum de présence humaine ? Mais plus secrète qu'ailleurs ; car la terre valaisanne a formé une race un peu ombrageuse, très fidèle et qui se livre peu.
Plus simplement, j'aime l'odeur de par le vent de la montagne. Plaisir de respirer la fumée épicée des feux de bois auxquels on se chauffe, sur lesquels on cuisine encore. Il n'est de cour sans ses bûches empilées ni de jour où dans l'une ou l'autre, on ne scie ou ne refende.
Devant les grandes scieries fardées de sciure blonde, l'air est épaissi d'un encens résineux ; et il a le goût de pierredevant la fabrique de chaux et de ciment.
Dans la saison de la récolte, les vastes séchoirs de la manufacture de tabac exhalent la forte saveur douce-amère des feuilles jaunes ou brunes.
Aux vendanges, le sang est en fête.
Ainsi, Vouvry vit comme un grand village où la graine et la fleur, l'arbre, le fruit, l'eau d'orage et l'eau de neige, le soleil et le brouillard font la loi des travaux, l'allégresse et le souci des hommes.
Il est encore une unité à l'échelle humaine où les actes et les choses peuvent être ordonnés par une vue d'ensemble, une délibération commune. L'ambition de puissance et sa démesure n'ont guère de prise sur l'espace, le calme, les relations directes entre les individus, ici où l'on se salue par son nom propre : Bonjour, Céline. Adieu, Emilien.
Certes, avec l'implantation de l'usine pilote de Chavalon, l'essor industriel déjà vif et qui va s'amplifier, décuplant rapidement la population, donne le même spectacle de force et la même inquiétude que la crue subite d'un torrent. Mais on peut endiguer le flot sauvage, si l'on ne s'est pas laissé surprendre. Ceux qui président aux destinées de Vouvry ont agi comme il fallait, quand il était encore possible d'aménager le site, avant toute prolifération désordonnée de bâtisses. Ils ont eu le juste coup d'œil et planifié ce qui devait l'être pour que les rues soient libres, adaptées au trafic - celui des " poids lourds " étant presque entièrement détourné. Et, comme il y avait des débridées au temps des chevaux, il y a des parcs pour les voitures qui, ainsi, n'étranglent pas la chaussée.
Les métiers des hommes modèlent leur caractère. Cette mesure que j'aime à lire dans la cité de Vouvry, ne vient-elle pas du rôle important qu'elle a joué, à son rang modeste, dans l'expansion de la civilisation en Valais et au-delà, en fabriquant ce papier par lequel l'homme occidental s'est donné le moyen prodigieux de faire du passé un héritage et la base de son avenir, une mémoire fidèle et docile, le grenier de ses découvertes, le réservoir de ses réflexions.
Le plus ancien papier à filigrane valaisan - un écusson aux sept étoiles - daté du 17' siècle, est de la papeterie de Vouvry. Elle fut créée avant 1629, peut-être même avant 1614. Au château de Saint-Maurice, le musée conserve d'anciennes formes à fabriquer le papier à la cuve marquée A. Pignat et provenant de cette même papeterie de Vouvry. Le maître papetier François Schoch les avait gardées, vers 1840, lors d'un passage à d'autres procédés de fabrication.
Activité intense de la plaine, peuple nombreux, gens venus d'ailleurs, mélange, avec nos accents, de parlers plus sonores. L'Histoire accélère. Pourtant, il ne faut pas céder au vertige. Le montagnard sait cela.
Il y a Vouvry, en bas, comme un moulin à faire de l'avenir.
Et là-haut, pour nous permettre de reprendre haleine, il y a Taney, dans la durée de la nature éternelle.